L’ExpoAction "Infinite Creativity for a Finite World" qui a eu lieu du 30 mars au 16 avril 2021 à la Folie n°6 du Parc de la Villette & à la VilletteMakerz dans le cadre de « 100% L’Expo – Sorties d’Écoles », a pour ambition de mettre en lumière la capacité unique du design à s’engager activement dans la co-construction d’un futur souhaitable, à rechercher, révéler et valoriser le « sens commun » par des pratiques modestes et sobres dont la résilience a été prouvée par le temps. Plus qu'une simple exposition, l’ExpoAction propose au visiteur de plonger au cœur d’une pluralité d’actions en cours portées par une nouvelle génération de designers engagés sur le long terme dans la valorisation d’élans créatifs collectifs, pour révéler le pouvoir du lien social. Elle affirme la nécessité d’un “design civique” qui permet au spectateur “agissant” de vivre et de mesurer l’impact quotidien de ses actions et surtout de profiter des bénéfices de leur résonnance collective. En partant de situations socialement, politiquement et économiquement vulnérables, complexes et conflictuelles, le co-design est capable d’orienter et valoriser l’élan créatif infini propre à chacun par des actions responsables, concrètes et réparatrices, qui respectent la fragilité de l'humain, du vivant et la finitude de la planète par la construction, ou « composition1», d’une relation durable à l’autre, au temps et à l’espace, à l’environnement et au monde.
L’ExpoAction ICCFW constitue la quatrième (et dernière) contribution de l’Ecole des Arts Décoratifs de Paris au projet de recherche européen (Creative Europe) 4Cs (from Conflict to Conviviality through Creativity and Culture - www.4cs-conflict-conviviality.eu). Ce dernier a pour objectif d’explorer le potentiel de la culture et de la créativité pour nourrir une réflexion sur les formes émergentes de conflit et en imaginer des solutions créatives permettant de les traiter et de les résoudre. Le projet 4Cs souhaite redéfinir le cadre conceptuel propre au dialogue interculturel et affirmer le rôle des institutions publiques d’art et de design dans la promotion d’actions collectives favorisant la diversité culturelle et facilitant les rencontres interculturelles. Il rassemble plusieurs institutions d’art et de design européennes : FCH-UCP (PT), Tensta Konsthall (SE); SAVVY Contemporary (DE); Royal College of Art (UK); Fundació Antoni Tàpies (ES); Vilnius Academy of Arts-Nida Art Colony (LT) and Museet for Samtidskunst (DK).
Dans son essai "The limit of human understanding", John Locke affirme qu'en considérant l'infini, les humains sont susceptibles de commettre des erreurs et que cela les aurait conduits à des perplexités et des contradictions. Ce sentiment d'avoir devant soi l’opportunité de choisir parmi des possibilités infinies a été en effet l'une des problématiques majeures de l'Übermensch du 20ème siècle, contribuant à des abus de tout genre, à des altérations de nos mode de vies dont nous tous commençons à en payer les conséquences. Nous avons détruit, asséché, altéré car nous avons oublié notre état d’êtres interdépendants. En ces temps difficiles, les jeunes designers éprouvent que les temps de l’individualisme hédoniste sont derrière eux, qu’il est plus que jamais nécessaire de “donner la parole aux gens”, de s’ouvrir et de tester des nouvelles méthodologies de recherche, d’investigation et de production plus collaboratives et inclusives. Qu’il est indispensable d’articuler leurs actions communes au sein d'un monde dont nous reconnaissons tous désormais la finitude. Le fait de comprendre, comparer et capitaliser sur les différences de leurs formes d’expression agira comme un possible multiplicateur capable d'enrichir les récits et d'élargir les cadres d'action.
La crise sanitaire actuelle est une nouvelle occasion de prouver le pouvoir de la collectivité et du lien social contre la vulnérabilité individuelle. Mais ce pouvoir unique est encore sous-estimé malgré le nombre d'initiatives de terrain significatives déjà existantes, montrant que notre créativité infinie peut aussi avoir des aspects positifs et conduire à l'amélioration de notre coexistence, par l'élaboration de solutions respectueuses des besoins et des attentes humaines et non humaines. Il est désormais urgent de les révéler et de relier enfin leurs points significatifs par la création assumée et responsable d'une "société moléculaire basée sur l'utilité", pour reprendre les mots du philosophe Franco Berardi. Les designers sont parmi les meilleurs spécialistes de l'utilité. Le territoire de cette "utilité infinie" doit être redéfini, ses récits élaborés et partagés, ses images soignées et nourries, son esthétique et ses objets co-définis et co-développés. Le concept d'infini, comme l'affirmait Ludwig Wittgestein, a en soi aussi le sens d'un processus qui est en cours et par définition inachevé. La possibilité de composer avec une « infinitude utile » devient alors partie intégrante du processus créatif propre à l"ExpoAction" car elle implique naturellement l'interaction avec le public qui comprendra le rôle nécessaire qu’il pourra jouer en contribuant à l’évolution de ces projets « utiles » en cours.
Anna Bernagozzi
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Les étudiants de l’Ecole des Arts Décoratifs ont activement participé à la recherche, à la réflexion, à la mise en place de 4 des 18 actions de d’ExpoAction et à la conception scénographique de celle-ci. Quatre groupes interdisciplinaires d’étudiants de toutes les années du cursus ont fourni tout le long de l’année un travail de recherche appliquée et de fabrication de « présents souhaitables » avec les designers Alexia Venot (en partenariat avec la Semeuse des Laboratoires d’Aubervilliers), Cédric Carles (Atelier 21), Lucas Dauvergne (en partenariat avec La Réserve des Arts) et Nicolas Verschaeve (en partenariat avec Vive les Groues). Dans le contexte sanitaire actuel les quatre groupes ont pu travailler indépendamment dans ces (tiers) lieux extérieurs à l’Ecole et découvrir les spécificités de création contextuelle des quatre designers invités, en réduisant ainsi l’encombrement des classes.
Les projets exposés affirment la nécessité d’un “design civique” qui, comme dirait Jacques Rancière, permet au spectateur “agissant” de vivre et de “voir” l’impact quotidien de ses actions et surtout de profiter des bénéfices de leur résonnance collective. Hannah Arendt déclarait que « la noblesse de l’homme est sa capacité de pouvoir répondre au monde qui lui est confié »2. Parce que cette action définit sa vocation politique, son pouvoir en tant que citoyen, j’ai choisi d’inclure dans l’exposition plusieurs “travaux agissants” d’étudiants de l’Ecole des Arts Décoratifs et de les mélanger aux travaux de professionnels. Cette volonté inclusive de ma part vise à leur faire comprendre et mesurer l’impact que leur travail philanthropique peut avoir sur leurs territoires d’action respectifs, si ce travail est accompagné d’un dialogue et d’une confrontation active et constructive avec les autres membres du même territoire. Elle vise aussi à éviter une sorte d’émigration intérieure qui caractérise le refuge majeur d’intellectuels et artistes durant des périodes de totalitarisme et de crise par un manque de mise en pratique de leur volonté (intérieure) de remise en question du status quo.
Un an après le colloque “Faire projet, faire ensemble” qui a réuni à l’Ecole des Arts Décoratifs une cinquantaine d’experts internationaux montrant le rôle du design comme processus intellectuel, créatif et humaniste, capable aussi bien d’alimenter des réflexions que de générer des actions et initiatives à la fois concrètes et fluides, l’ExpoAction “Infinite creativity for a finite world” permettra aux individus, aux communautés et plus généralement à la société, de comprendre l’urgence de se reconnecter au présent et d’en faire l’expérience en devenant ainsi les acteurs d’un nouvel art de vivre, qu’ils auront songé ensemble. Lors de la conférence de 2020, le partage de nouvelles connaissances, la comparaison méthodologique pour le co-développement de nouveaux outils et le travail commun dans des projets prometteurs pour l'avenir ont contribué à constituer ce que Victor Margolin aurait appelé un "cadre d'action". Ce cadre d'action constitue l’élément fondateur de cette ExpoAction qui réunit, certes à petite échelle, les idéaux et les croyances sur la façon dont le monde devrait être. Ces projections multiples permettront au public, et à la société en général, de renouer avec le présent et d’encourager l’action vers un nouvel art de vivre, dans une période particulièrement complexe de transition d'une "société parasitaire" vers une "société symbiotique". Cette société symbiotique, sensible et sans frontières, où la singularité et la diversité de chaque individu contribuera à la régénération de l'ensemble, sera alors à même d’articuler ses ressources et son potentiel créatif pour s'adapter et réagir localement aux changements environnementaux constants, par la co-création de nouveaux objets/outils participatifs, modestes, poreux et multiples.
Il peut sembler presque anachronique et absurde d’avoir osé une exposition fondée sur le principe de l’Action dans un monde paralysé par la crise sanitaire, par l’action d’un organisme microscopique. C’est pourtant précisément dans ce contexte que beaucoup d’entre nous ont pu mesurer l’interdépendance qui nous relie les uns aux autres et l’importance de coordonner nos actions dans un objectif commun. C’est pour cette raison que j’ai voulu souligner le rôle fondamental de chaque Acteur dans son engagement contre le statu quo et pour le bien commun, et comment sa « mission » est plus efficace et intelligible quand elle est accompagnée, valorisée et répliquée par la collectivité. Il s’agit en tout cas d’actions précises sur le long terme, d’Actions plurielles, participatives et génératives qui continueront à exister bien après la fin de l’exposition. Même si l’ExpoAction ne pourra être vécue à la première personne par le grand public, je veux espérer que sa version digitale (infinitecreativityfiniteworld.com) et les 6 actions partagées à la Villette Makerz pourront servir de prototype pour d’autres ExpoActions futures. Espérons enfin que ces Actions humbles, nécessaires, responsables, réparatrices, respectueuses de la fragilité de l'humain et du vivant, co-initiées par des designers et artistes internationaux, pourront être explorées, questionnées, modulése, partagées... ad infinitum !
- Une écologie des relations, Philippe Descola, CNRS Editions 2019
- La Crise de la culture in L’Humaine Condition, Hannah Arendt, op. cit., p. 762
Les " territoires " de l'ExpoAction sont infinis mais 8 d'entre eux sont capables de mettre en lumière les correspondances entre chaque Action et leur Utilité individuelle. Ils montrent l'importance de situer la connaissance et prouvent qu'il n'y a pas de séparation entre l'observateur et la réalité et que tout le monde peut être impliqué dans une Action.
La connaissance autour de ces territoires est scientifique mais aussi émotionnelle, affective, corporelle et spirituelle. Elle doit être répandue et accessible à tous pour permettre la transformation sociale. Cette transformation nécessite des Actions qui évitent l'injustice systémique et ces actions ont besoin d'imagination et de friction pour voir le jour.
Comme l’affirme le philosophe José Medina, "en comparant et en contrastant leurs résistances imaginatives, les gens peuvent devenir sensibles à d'autres façons d'imaginer et d'habiter des mondes d'expériences possibles".
- José Medina, The Epistemology of Resistance, Oxford: Oxford University Press, 2012*