Tangible utopias
Non-human regeneration

LES PARADIS NE DURENT QU'UNE SAISON

Nicolas Verschaeve et les étudiant.e.s Adèle Jacquier, Adélia Bellier, Adrien Buyukodabas, David Schroeder, Samer Selbak

Acteur

Les prémices de la démarche de Nicolas Verschaeve se dessinent lors d’un projet de diplôme de l’Ecole des Arts Déco de Paris (EnsAD) en 2017, mené avec la designer textile Juliette Le Goff. A cette occasion, il pose les jalons d’une pratique du design qui s’étend de l’objet à l’espace, et qui défend une interaction plus sensible avec les lieux de vie. Son travail se construit dans le dialogue et s’affirme au plus près des ressources et des lieux de production. Cette approche a donné lieu en 2017 à la création d’un atelier de design mobile. Un studio sur quatre roues qui porte une volonté claire : engager le projet par le faire et repenser les schémas convenus entre recherche, design et production. Lors de chaque Escale, ce dispositif porte une attention particulière à embrasser les réalités historiques, culturelles, environnementales et techniques des contextes appréhendés afin d’en refléter la richesse.

Action

Au travers du prisme des oiseaux migrateurs, nous avons abordé avec le studio (format de laboratoire transdisciplinaire sur l’année) « Les paradis ne durent qu’une saison » un peu plus de poésie mais non sans gravité les problématiques de transformation des milieux, des migrations et de l’évolution des habitats touchant l’ensemble du vivant dont l’Humain. Que rapportent les oiseaux de leurs pérégrinations ? Qu’est ce que ces parcours et déménagements successifs peuvent nous apprendre de l’adaptabilité d’une espèce à un milieu en transformation ? Notre étude non-anthropocentrée dévoile la variété et l’ingéniosité de nids et de nichoirs développés par des espèces d’oiseaux lors de leurs migrations sur des territoires distincts. L’architecture urbaine ne pourrait-elle pas s’en inspirer et faire preuve de plus d’attention aux singularités en érigeant la diversité comme sa composante fondamentale ? Dans ce contexte nous proposons non pas de construire pour abriter l’Homme, mais tentons d’explorer d’autres échelles d’Action, favorisant des nouvelles relations au vivant.

Adèle Jacquier - Maquette d'un nichoir à Matrinet noir en terre-cuite © Nicolas Vershaeve

Adèle Jacquier - Maquette de nichoirs à Matrinet noir en terre-cuite © Nicolas Vershaeve

Adélia Bellier - Maquette et prototype d'une saillie en bas-relief pour amorcer des nids d'hirondelles rustiques © Nicolas Vershaeve

AdéliaBellier - Carte migration Hirondelle de fenêtre. source-www.crbpodata.mnhn.fr © Nicolas Vershaeve

Adrien Buyukodabas - Maquette d'un dispositif de construction modulaire en sacs de chantier et sable d'excavaition des chantiers du Grand Paris © Nicolas Vershaeve

DÉBLAIS - cartographie chantiers © Nicolas Vershaeve

fiche biographique Martinet noir © Nicolas Vershaeve

Studio 4Cs - Les paradis ne durent qu'une saison © Nicolas Vershaeve

Trajets d'un Vautour Fauve autour du rocher des Aigles, Rocamadour. source: www.crbpodata.mnhn.frma. © Nicolas Vershaeve

« En Europe, moins de la moitié des oiseaux partis hiverner en Afrique reviendront au prin- temps. Face à de telles statistiques, on ne peut s’empêcher de s’interroger : pourquoi environ cinquante milliards d’oiseaux ressentent-ils chaque année la nécessité de migrer ?
Dans notre imaginaire, la migration de nos compagnons ailés est synonyme d’infinie liberté et de formidables aventures [...] on prend conscience que c’est tellement vrai, et tellement faux à la fois. On ne migre pas pour le plaisir mais par nécessité. L’énergie ainsi dépensée, les trésors d’in- géniosité déployés et le nombre d’embûches auxquelles les oiseaux doivent faire face, forcent notre admiration avec raison »

Dans le sillage des oiseaux migrateurs, Christian Moullec & Xavier Müller

Notre étude non-anthropocentée dévoile indéniablement des questionnements parralèles à l’espèce animale et à la notre, notamment au regard du rapport à l’espace et plus précisément à l’acte d’habiter. L’oiseau et l’Homme sont tous deux batisseurs. Selon le contexte, les ressources sont simplement agencées ou suivent un processus de transformation pour être tissées, empi- lées, creusées, entremêlées et ceci afin de protéger le corps des prédations du monde. Nous ne vivons ni de la même façon, ni dans les mêmes espaces en Alsace et au Maghreb, en Mongolie ou dans les plaines des Andes. D’une part, ces différentes formes d’habiter répondent aux ressources du territoire (matériaux) et à la façon de les employer (process). D’autre part, la variété des organisations d’espaces de vie qui en découlent donnent à lire les contraintes clima- tiques, les constructions culturelles, les contingences politiques et sociales ainsi que les us et coutumes spécifiques à chaque peuple et leur milieu. Au-delà de la fonction première d’abri, l’habitat constitue un lien étroit à nos identités indi- viduelles, à nos cheminements de vie. Dans une relation réciproque, nous transformons tout autant l’espace qu’il nous transforme. Ce monde dans le monde se charge des choses, des êtres, des histoires et des valeurs que l’on préserve, il dit un peu de qui et de ce que nous sommes. Mais alors quelles marges nous reste-t-il pour participer à l’édification de nos espaces ? Là où justement, en ville, l’espace manque ? Dans ce contexte urbain, nous proposons non pas de construire pour abriter l’Homme, mais pour favoriser ses relations au vivant dans un milieu appauvri en la matière.

Espace commun

La diversité de ces modes d’habiter apparait paradoxalement peu dans le paysage bâti des villes contemporaines, pourtant par essence les lieux de mixités, de rencontres culturelles de tous horizons. Les programmes de logements font apparaître des epaces standardisés et normés, symboles d’une modernité que nous tenons ici à remettre en question. L’architecture ne pourraît-elle pas faire preuve de plus d’attention aux singularités qui défi- nissent les individus ? Peut-elle offir à ses occupants les moyens de projeter leurs identités dans l’espace qu’ils occupent, d’ériger la diversité comme une composante nécessaire du programme?
Faire architecture, faire lieu soi-même plutôt que d’habiter dans des espaces construits par d’autres, ne serait-ce pas déjà se trouver en bonne voie ?

Projet

Répondant à ces questionnements, chaque étudiant s’est intéressé à un oiseau présent en Île de France et migrant une partie de l’année vers d’autres territoires. Ce temps de recherche
a été l’occasion de définir le contexte dans lequel évolue chaque espèce, d’identifier les entraves présentes sur sa route migratoire, d’étudier son lieu de destination ainsi que ses habitudes de bâtisseur et ses besoins en terme de milieu et d’habitat.
Que rapportent les oiseaux de leurs pérégrinations ? Qu’est ce que ces parcours et déménagements successifs peuvent nous apprendre de l’adaptabilité d’une espèce à un milieu en transformation ? Comment apporter aux oiseaux des lieux et des temps de répit ?
Serait-il pertinent de construire durable pour des espèces en mouvement permanent ? Et si ces reconstructions d’espaces de vie saison après saison préfiguraient de futurs modes d’habiter nécessairement plus souples, résilients et réactifs face au changement, pour notre propre espèce ?
Les pratiques de construction propres à différentes espèces de oiseaux répondent en de nombreux points à des formes d’architecture vernaculaire à travers le monde. Ces édifices que Bernard Rudofsky qualifie «d’architecture sans architecte» emploient de manière systématique les ressources dont l’environnement dispose, et des méthodes de construction développées en réaction aux propriétés des matériaux présents; principes similaires entre l’homme et l’animal.
L’étude croisée des nids de ces oiseaux et de constructions vernaculaires humaines pose la question de l’autonomie. En prêtant attention aux oiseaux, nous pouvons nous demander si la reconstruction de leur habitat saison après saison n’est pas aussi une opportunité d’améliorer le nid, de l’adapter aux variations de lieux, du climat, des prédateurs. Mais surtout, cette reconstuction répétée ne serait-elle pas le gage d’une transmission de connaissances et de savoir-faire aux générations futures ?
Ainsi, est-il pertinent de construire pour d’autres, d’autres hommes, mais également d’autres espèces ?
Les étudiants ont trouvé plusieurs réponses à cette question selon l’espèce étudiée.
Ainsi Adélia Bellier propose de revisiter les bas-reliefs décoratifs présents sur les façades hausmaniennes. Ces décors moulés, à visée esthétique pour l’Homme adoptent également dans son projet une dimension fonctionnelle pour l’hirondelle. Le motif décoratif dissimule un ensemble de points d’accroche et d’amorces grâce auxquelles les hirondelles pourront aisément bâtir leur nid en milieu urbain. Il est en effet primordial pour cette espèce de lui laisser l’honneur de bâtir son nid, ce par quoi elle se distingue socialement, plutôt que de lui proposer un habitat achevé.

En partenariat avec Vives les groues, Nanterre